La Ferme des Watson

" Allez, debout p'tite fainéante! T'as du boulot qui t'attend! ", hurla une voix horrible à mon oreille.
A contre-coeur j'ouvris mes yeux. Je croisai le regard bleu glacé de ma soit-disant mère. Je lui rendis un regard rempli de haine et me relevai péniblement. Ha, maintenant elle ne faisait plus vraiment la maligne! La "sorcière" leva les yeux vers moi. La vieille femme tremblait de colère, ce qui lui donna un aspect particulièrement ridicule. Je souris satisfaite et passa à côté d'elle d'un pas triomphant.
" Encore une bonne journée Mme. Watson! ", lançai-je avant de franchir le seuil de la grange.
Oui, parce que je dormait dans une grange.
Autour de moi tout était blanc, il avait neigé. J'enlevai les quelques restes de paille de mes cheveux et partit l'air à nouveau sérieux. Une journée épuisante de plus...
J'entendis une porte claquer.
" Aïe! ", se plaignit une voix de petit garçon.
Curieuse, je voulus voir qui était la source de tout ça. Je vis alors mon voisin, un petit garçon qui ne devait pas avoir plus de onze ans, étendu dans la neige, en larmes. J'eu juste le temps de voir son père rentrer à l'intérieur en claquant à nouveau la porte. Le gamin ne bougea pas de là, son regard implorant fixé sur la porte.
J'eu pitié. Mais la pitié n'était pas l'un des sentiments que je m'autorisais à ressentir. Dans ce monde, il fallait rester forte si on voulait survivre. Je me détournai et pris le chemin de l'étable.

J'arrivai devant la maison des Watsons. Je sortis de ma poche les quelques pièces que j'avais récolté pour mon travail à l'étable. Une somme minable, ma "mère" n'allait pas être très contente et allait sûrement me priver de ma miche de pain du jour. Mais bon, j'avais déjà assez mangé pour ce jour-là.
Je levai la tête et m'approchai de la porte. C'est là que j'entendis des voix. M. Watson et sa femme se disputaient? Je ne comprenais pas comment un homme avec autant de bonté avait pu finir avec une sorcière. Ce pauvre vieil homme, qui avait perdu une jambe pendant l'attaque, condamné à vivre avec un peste de la sorte.
Je tendis l'oreille.
" Mais Jacob! Il faut nourrir nos enfants! Ils passent avant tout! Comment peux-tu la faire passer avant eux! ", dit la vieille femme, d'une voix désespérée.
" Jamais je ne passerais qui que ce soit avant nos enfants, tu le sais. Mais ne te rends-tu pas compte ce que cela représente?! Personne ne mérite ça! Personne! Tu as vécu tout ça, comme moi! Tu les as tous vu partir et ne jamais revenir! Toi-même tu as senti la peur de devoir y aller, la peur de devoir tuer pour survivre! La peur de mourir comme ça!, répondit le vieil homme calmement.
- Mais ça ne veux pas dire qu'elle devra obligatoirement y participer! "
Je savais qu'ils parlaient de moi. Et je ne pouvais plus supporter de devoir écouter aux portes pour comprendre ce qu'il avait prévu de me faire subir. J'ouvris la porte mais ne traversai pas le seuil. Ma "mère" s'approcha.
" Alors, qu'as-tu ramené?", demanda-t-elle d'un ton neutre.
Je tendis la main et l'ouvris, laissant paraitre les quelques pièces.
" Quoi?! C'est tout? Donne-moi les autres! Montre-les moi! "
Je la fixai impassible et dis d'un ton neutre:
" C'est tout ce que j'ai reçu.
- MENTEUSE! VOLEUSE! "
Le coup s'abattit sur moi. mais je gardai toujours la même expression vide de sentiments.
" Entre, j'ai à te parler. "

Méfiante, je pénétrai la maison. Je suivis ma "mère" jusqu'au canapé.
"Assieds-toi."
Je lui lançai un regard hésitant, puis m'assieds sur le vieux canapé déchiré. J'étais assise en face de Jacob et le regardai d'un air interrogatoire. Celui-ci détourna rapidement les yeux, ce qui m'inquiéta encore plus.
"Réfléchis bien, Katherina.", dit-il seulement.
Je tournai les yeux vers la sorcière. Qu'allait-elle me dire d'aussi terrible?
Katharina ignora les mots de son mari.
"Tu vas prendre un tessera."
Jacob lança un regard dégoûté à sa femme et se leva pour aller s'occuper des enfants.
Moi, je ne compris pas tout de suite et mis du temps à saisir ce qu'elle venait de dire. Mon visage se décomposa. Je sentis un flot de sentiments différents me parcourir. La haine, la peur, la tristesse, le désespoir, la douleur, le besoin de vengeance.
"Quoi?!"
Dans des autres districts plus pauvres, cela était un peu près normal de devoir prendre des tesserae. Mais le district 10 était pauvre, serte, mais faisait parti des district intermédiaire, c'est à dire, dans une posture pas si mauvaise que ça! Les tesserae étaient très rares dans ce district!
"A chaque fois que tu feras quelque chose qui me déplaira, nous irons chercher un tessera de plus pour toi!"

"Ne te rends-tu donc pas compte de ce que ça représente?! Tu sais ce que c'est, tu as connu tout ça et tu oses me faire ça?! Tu ne vaux pas mieux que tous ces gens du capitole!"
Je fis volte-face et sortis dans la rue. J'éclatai en sanglots, des larmes coulaient le long de ma joue. Des flocons de neige tombaient sur mon visage en feu.
Pourquoi?
J'avais entendu le ton presque satisfait de Katherina. Comment pouvait-elle?
Je l'entendis hurler après moi, on pouvait percevoir qu'elle regrettait presque ses mots, mais selon elle ce qu'elle faisait était toujours ce qu'il y avait de mieux à faire.
"Zoe! Reviens tout de suite! Tu sais que sans nous tu ne serais rien!", cria-t-elle.
Alors comme ça j'avais encore une dette envers elle?! Moi, qui était presque leur esclave! Je m'en serais beaucoup mieux sortie si j'avais été seule. Mais à quinze ans, ce n'était évidemment pas permis!
"Sans vous?! Mais je me porterais mille fois mieux sans vous! Je travaille pour vous, je suis celle qui vous apporte le plus d'argent ici, si vous avez de quoi manger c'est pratiquement grâce à moi! Et maintenant je devrais encore prendre des tesserae? Mais vous vous foutez de moi!", hurlai-je en larmes.
Lentement, je me tournai vers elle, le regard plein de dégoût. Katherina me fixait, cherchant une explication qui tenait debout.
"Ecoute bien, si je fais cela c'est uniquement pour mes enfants, si je te traite comme ça c'est pour eux. Bien sûr que je sais, ce que sont les Hunger Games, bien sûr que je sais ce que c'est d'avoir peur de mourir, et c'est justement pour ça que je le fais, pour éviter qu'ils doivent subir ça.", dit-elle.
Je secouai la tête, exaspérée. Cette vieille, n'était plus à sauver, cette vieille était perdue d'avance. Tout ce qui la préoccupait, c'était elle et peut-être ses enfants, les autres pouvaient se débrouiller tout seuls.
"Quelle bonté! Tu fais tout pour tes enfants...même avoir sur le dos la mort de quelqu'un ne te fait rien! Même la mort de milliers de gens autour de toi ne t'intéresse aucunement! Nous sommes tous dans le même bain! Si tous faisaient comme toi, nous ne serions plus rien! Tous plus minables les uns que les autres! Tu me dégoûtes! Egoïste!"
Je pivotai et m'encourus dans la rue. Je courus, courus, courus, laissant toute la haine, le désespoir, absolument tout derrière moi, relâchant chaque chose qui me pesait. Je courais dans la neige, le froid. Les rues étaient désertes, à part quelques chats affamés.
Je finis par retourner chez moi. Le chien était dehors, couché dans le froid. Pauvre chose. Mais étonnement, il n'était pas seul, le petit gamin du voisin était à côté de lui et le caressait.
Je stoppai et l'observai. Le garçon leva la tête et me fixa de ses yeux d'enfants, mais ils n'avaient pas l'innocence qui aurait dû s'y refléter. Je rassemblai tout le courage qui me restait et marchai vers lui, d'un pas hésitant.

« Salut. », dis-je timidement.
Ma voix tremblait. Bon sang ! Ce petit garçon ne pouvait quand même pas me faire peur ! Allez, ressaisis-toi, Zoe !
Vu que le garçon ne répondait pas, je repris la parole en efforçant d'être gentille.
« Qu'est-ce que tu fais là ? Pourquoi est-tu là dehors tout seul ? »
Le petit me fixait toujours de son regard impassible. Je n'aimait pas ce regard. J'avais l'impression qu'il pouvait me transpercer et trouver tous mes secrets, qu'il connaissait toutes mes peurs, qu'il savait tout ce que je ressentais. Cela me déstabilisait terriblement et je me renfermai sur moi-même. Mais malgré tous mes efforts j'avais toujours cette impression qu'il me connaissait mieux que moi. C'était pour ça que je n'aimait pas les enfants. Ils avaient cette capacité de savoir ce qui se tramait au plus profond de soi. Ce silence commença à m'agacer. Et je voulu partir.
« C'est quoi les Hunger Games ? »
Sa voix était claire, déterminée. Et cette question me toucha en plein cœur. Il ne savait pas ? Si il avait sûrement dû voir l'annonce de la présidente. Tout le monde l'avait vue. Il avait tout entendu mais il n'avait pas comprit. Il ne comprenait pas ce que tout cela signifiait. Son cœur d'enfant qui avait toujours gardé cette part d'innocence malgré tout, ne comprenait pas. Il ne comprenait pas pourquoi, comment c'était possible.
Le petit garçon répéta sa question, voyant que je ne répondait pas. Cette fois je perçus de la peur dans son regard. Sa main trembla, il était nerveux.
Je m'approchai et m'assis à côté de lui. Je commençai à caresser le chien. Je levai la tête vers le ciel avant de lui expliquer du mieux que je pouvais ce que les jeux de la faim étaient réellement.

« Les jeux sont notre punition. Ils sont là pour nous montrer que le capitole règne sur nous, qu'il peut faire absolument tout avec nous, tout ce qui lui plaît. », conclus-je.
Le jeune garçon regardait dans le vide. Il savait maintenant. Il l’avait probablement toujours su, mais n’avait jamais pu y croire. Jusqu’à-ce qu’il l’entende de la bouche de quelqu’un d’autre.
Je l’observai. Aurais-je mieux fait de ne rien lui dire ? Non. La vérité est toujours mieux que l’incertitude. Même si ça faisait mal. Mon regard se tourna vers le sol. Même si ça faisait mal. On pourrait devoir y participer tout les deux. Serais-je alors capable de le tuer ? Non, la question ne se posait même pas, je DEVRAIS le tuer. Mon cœur se serra. Un frisson me parcourut. Je m’imaginai le corps sans vie du petit, du sang dégoulinant de la baie à sa gorge. Du sang partout, du sang sur mes mains.
Je secouai la tête comme pour me débarrasser de cette pensée.
« Tu devrais rentrer, il se fait tard. », dis-je.
Mon ton était à nouveau glacial. Mieux valait ne pas se faire des amis. Je me levai brusquement et me dirigeai d’un pas raide vers la grange. Je sentais le regard brûlant du garçon sur mon dos. C’était insupportable, ce regard de peine, mais toujours tellement naïf. Enfin, je franchis le seuil de mon abri. Je fermai la porte en bois. Je soupirai. Enfin libre de ce regard. Je jetai un coup d’œil par un trou. Le petit avait disparu.
J’attrapai ma couverture et me laissai tomber dans la paille. Mais j’avais beau essayer, je ne m’endormis pas. Je n’aurais jamais pu croire qu’une discussion avec un gamin allait un jour me perturber de la sorte.

» Zoe Watson - District 10